Permis de chasse pour elle

Permis de chasse pour elle

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J’ai débarqué en Abitibi en juin 2013 avec mon baluchon, un contrat de travail d’un an et un chum qui faisait son retour après 10 ans d’exil.

La première fois que j’ai ouvert le congélateur de la belle-mère, j’étais étonnée par toutes ces poitrines de poulet emballées sous vide.

« Mais non voyons. C’est de la perdrix, de la chasse à Sébas et Daniel », me dit-elle.

C’est à ce moment-là que j’ai eu LA révélation. Si je voulais être une des leurs et m’intégrer pleinement à ce beau coin de pays, je laisserais mon shish-taouk à Montréal et je chasserais moi aussi la perdrix!

Pour une Montréalaise de ma trempe, le temps de la chasse s’est toujours résumé par l’arrivée du printemps, où le mâle alpha urbain sort de son hibernation et s’approprie les bars de la ville comme terrain de chasse. Mais je savais que mes années d’expérience de proie urbaine me seraient peu utiles dans mon projet de chasseuse de perdrix! Il me fallait donc commencer par suivre un cours de chasse.

Le monsieur au bout du fil m’a inscrite au cours sans trop me poser de questions. Je n’avais qu’à payer et me procurer les manuels avant la fatidique fin de semaine qui ferait de moi une vraie Abitibienne.

– « Monsieur, je peux aller chercher les livres à la librairie ou dois-je les commander en ligne? »
-« T’habites dans quel coin? »
-« Je suis à Sullivan, sur la rue Charest, à Val-d’Or. »
-« Excellent, ma fille habite là aussi. Voici l’adresse, tu n’as qu’à aller les chercher chez elle. »
-« Euh oui, ok?!.. J’imagine que je peux faire ça… »

Leçon no 1 : C’est comme ça que ça se passe en Abitibi.

Le samedi tant attendu, je me dirige au Best Western de Rouyn. Arrivée sur place, dans cette salle de conférence un peu sombre, je réalise que je partage ce projet de chasse avec plusieurs autres : des ados, des hommes, des femmes, de tous les âges. En fait, il y avait relativement beaucoup de femmes! Je me souviens m’être dit que cette expression de « veuve de chasse » tout droit sortie des premiers colons n’avait vraiment plus sa place aujourd’hui.

Je me suis assise à la table du fond et j’ai ouvert grand les yeux et les oreilles pour absorber tout ce qui m’était enseigné sur les rudiments de ce sport.

Leçon no 2 : La chasse est un sport.

Un ranger habillé en vert kaki comme celui de la bande dessinée Yogi l’Ours est venu faire son tour. Il nous a sensibilisés au respect de l’animal et aux quotas de chasse.

On a aussi eu droit à beaucoup de matériel éducatif sous forme de VHS. C’est d’ailleurs grâce à un petit film des années 80 -si je me fie au look des chasseurs qui n’avaient rien d’acteurs- que j’ai appris qu’il fallait vider la bête de ses entrailles. Alors que mes collègues absorbaient l’apprentissage sur comment faire, moi j’étais bouche bée parce que je venais de réaliser que c’était quelque chose à faire. C’est pour conserver la viande, tu comprends…

J’étais anéantie. On me demandait à moi, ex-végétarienne qui n’a jamais été capable de désosser un poulet, de vider la bête de ses entrailles, de la déplumer et de la faire saigner.

***

Je t’entends rire et penser que mon projet ne faisait aucun sens. Je te répondrais ceci, comme je répondais à mes amis montréalais ignorants.

Premièrement, la chasse sportive a un impact positif sur l’écosystème. Grâce à la réglementation et aux quotas, elle permet l’équilibre nécessaire pour éviter les catastrophes semblables à celle d’Anticosti. Une faune trop populeuse pour les ressources alimentaires disponibles.

Ensuite, manger de la viande qui a grandi en liberté, dans son état naturel, sans être gavée d’OGM, c’est le rêve de tous. Bon, c’est le mien en tout cas.

Et finalement, la chasse est un sport qui se pratique avec de la bière.

Leçon no 3 : Il y plus d’accidents dus aux chutes des tours d’observation que de tirs sur des personnes. Je n’insinue rien en lien avec la bière ici…

En deux jours, j’étais devenue une pro de balistique, d’armes à feu, de sécurité et de réglementation. Le dimanche après-midi, j’étais prête pour l’examen qui compterait deux parties, une théorique et une pratique. Pour la théorie, je n’étais pas trop inquiète. Pour le côté pratique, c’est là que j’angoissais un peu. Est-ce que je t’ai dit que je n’avais jamais touché à une arme à feu de ma vie? Voilà, tu le sais maintenant.

En même temps, ils n’allaient quand même pas me demander de tirer au beau milieu d’une salle de conférence du Best Western!

***

Quelques semaines plus tard, le gage de ma consécration est arrivé par la poste : mon permis de chasse! Je le montrais fièrement à tout le monde! Je me sentais dans la gang maintenant.

On a même commencé à me demander : – « Tu chasses quoi? ».

Et je répondais fièrement : -« Pour l’instant, je chasse surtout les canettes accrochées dans l’arbre. J’te jure qu’elles sont pas faciles à pogner celles-là! ».

À voir la réaction de mon entourage, il était clairement temps que je passe à un niveau supérieur. Sauf que née à Montréal d’une mère égyptienne et d’un père libanais, rien ne me prédestinait à chasser le gibier dans les sentiers de La Vallée-de-l’Or. Mais j’ai pris mon courage à deux mains et j’y suis allée à quelques reprises, munie d’une 22, d’un permis de chasse flambant neuf et d’un chum ben patient.

Aujourd’hui, je suis de retour à Montréal. Mon permis de chasse sert surtout à faire ma show-off quand un mâle me courtise dans un bar. Et ça lui permet de se sentir très originale quand il me répond : « Laisse-moi être ton gibier. ».

Au moins, je ne suis plus la proie.

Rosie Shadeed

Rosie Shadeed

Née et grandi sur l’exotique Île de Montréal, Rose-Marie partage son cœur entre l’Abitibi, l’ultimate frisbee et le scotch. Sa passion pour les communications est aussi sa profession.
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