Sainte-Justine en Bosnie

Sainte-Justine en Bosnie

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Voilà, j’ai l’humanité désalignée et plus de parachute. J’ignore si vous pouvez faire quelque chose pour moi. Comme je n’ai pas d’assurance collective, je ne niaiserai pas trop sur les présentations. Alors je vous raconte en me lançant dans le vide, de toute façon si je suis là c’est que je n’arrive plus à ralentir la chute.

C’était en février, mon myocarde s’étirait sur le tarmac de l’aéroport de Rouyn. Une ambulance rejoignait l’avion Challenger sur la piste avec à son bord un tsar blondinet, sa doudou préféré et son orignal en peluche. Sous le reflet des lumières clignotantes, mon existence tituba et s’échoua paralysée.

Sept heures plus loin vers le sud. J’ai lézardé les corridors de l’hôpital à l’aveugle. Rôder, moi le mort-vivant sur des miles de béton. Pour enfin retrouver mon garçon. Là derrière la porte-patio d’une chambre de station orbitale. Maintenu en hyper-sommeil, un petit astronaute intubé, résistait de toutes ses forces aux aliens lui dévorant les poumons.

Tétanisé par le malheur, j’ai quêté de la justice. Dieu s’en prenait à ma famille. J’ai prié Houston.

C’était en février, chaque jour était un clone d’hier. D’abord ouvrir les yeux, réaliser qu’on est étendu au centre du ring. Se lever, respirer et ressentir la douleur du chaos. Ensuite quitter le Manoir. Marcher dans le stationnement arrière du building. Compter les pas et baisser le regard devant le troupeau de camions noirs d’Urgel Bourgie. Ignorer qu’existe ces charognards de gamins. Accélérer la cadence pour rapidement s’engouffrer à l’intérieur de l’hôpital. Ressentir la chaleur de la buanderie. S’alimenter de scones et de café.

Chaque fois, retrouver le tsar dans son bivouac. S’approcher doucement de son oreille pour lui murmurer les nouveaux items de la liste. Le plan était de le convaincre de rester avec nous. L’encourager à s’agripper de ses minuscules doigts à ma voix. Qu’il n’aurait jamais ma permission de partir. Qu’on ne pouvait pas se pousser à deux ans et demi. Je me souviens des sanglots en lui décrivant son premier tour de vélo, son premier poisson… Son prochain rire dans les bras de sa mère.

C’était en mars lorsque l’obscurité cessa. La bonté triompha des terroristes, médicalement le patient a tourné le coin. Dans mon jargon, la science a botté le cul aux bactéries. Il fallait maintenant se réadapter au bonheur. L’espoir a réapprit à marcher au même rythme que le Tsar. Les docteurs House lui ont finalement retiré les derniers tuyaux le reliant aux machines. Sainte-Justine nous redonnait notre garçon.

Nous avons quitté la Bosnie par la porte de devant. Nous étions une famille de Airborne. On ne laisse personne derrière.

Vous savez, il y a les histoires de Disney et l’envers du scénario. Je transporte désormais le lourd paquetage des vétérans. Les visions d’horreur des soins intensifs, le décalage horaire des émotions. Je n’arrive plus à sourire de la même manière. Ils sont tous unanimes les spécialistes dans les bouquins et les articles médicaux. Lorsqu’un patient souffre d’un choc post-traumatique, il faut lui éviter tous les trucs le ramenant aux événements. Le problème est géographique, l’hiver retrouve toujours ma trace. La peur me colle aux bottes.

Bref, pouvez-vous me noter sur un post-it la procédure d’atterrissage. Ne me dîtes pas vous aussi d’essayer la thérapie par l’écriture. Je n’ai pas le temps pour ce genre de conneries.

Claude Boulianne

Claude Boulianne

Originaire de la Côte-Nord et ayant vécu à Montréal et Sherbrooke, Claude est maintenant un Abitibien d'adoption, père de deux bambins born & raised dans la région. Il pratique le droit à Rouyn-Noranda, aime les Cubs et selon nos sources il dort quand même bien.
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