Sortir du placard

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Dans ma vie citadine, je suivais religieusement les blogueuses mode sur toutes les plateformes possibles. Je passais au moins une fois par semaine dans les friperies de St-Hubert. Mes outfits étaient savamment préparés à l’avance et bien sûr, ils étaient choisis pour que j’aie l’air d’un street styling. La première chose que je regardais chez les gens que je rencontrais? Leur style, leur coiffure, leur maquillage et leurs chaussures.

Pour conquérir mon admiration et mon intérêt, fallait que tout soit parfait. J’aimais critiquer les faux pas. Je jugeais les gens par leur apparence. « Ne pas juger un livre à sa couverture » , c’était pas mon dicton préféré.

J’étais obsédée par l’image. J’étais superficielle. J’étais malheureuse, aussi.

Un beau jour de printemps, j’suis retournée vivre en région après 13 ans dans le sud de la province. Je me souviens du premier soir.

Alors que mon père, qui m’avait gentiment aidé à déménager mes 75 gros sacs à poubelle de précieuses guenilles, dormait dans ma chambre, je pleurais dans le salon de mon appart moisi. Paniquée, j’ai texté ma meilleure amie.

Claudine : « Béa, j’ai peur d’avoir faite une gaffe. » .

Béa :  « De quoi t’as peur?  » .

Claudine:  « De pus jamais être cool. Y’a rien, pis personne de cool icitte. » .

Aouch, hein? Quand je repense à cette Claudine-là, j’me dis que j’étais loin de mon profit. Sur mon matelas gonflable qui rend les foufounes froides à cause du plastique, à ce moment précis de l’histoire, je méritais une gifle. « HEY, REVIENS PARMI NOUS, LA JEUNE! »

***

Les jours ont passé. J’ai rencontré du monde. Bien sûr que j’ai rencontré des femmes coquettes, pis des hommes avec du goût, sauf qu’en général, y’avait pas de quoi faire un #OOTDPL. J’irais pas jusqu’à dire que j’me tenais avec du monde en coat de Ski-Doo, mais quand même. C’était pas le Pérou, ni le Milex.

Puisqu’à Rome on fait comme les Romains, je me suis ouverte à ces gens. J’ai appris à les connaître et ils sont vite devenus mes amis. Faute de style, on était pas à court de fun! Ces gens m’ont généreusement invitée dans leur univers. C’est sans jugement pis avec amour qu’ils l’ont fait. Plus j’apprenais à les connaître, plus je les trouvais beaux. Ils ne souciaient pas de leur style, eux. Ils étaient juste…vrais ! À mes yeux, c’était le plus grand témoignage d’authenticité possible. Plus je faisais leur connaissance, moins j’étais obsédée par l’image et mon jugement s’est transformé en admiration.

En principe, la mode est un moyen d’expression et une façon d’appartenir à groupe ou à un rang social. Veux, veux pas, c’est le premier indice pour savoir s’il y a une possibilité d’avoir les mêmes intérêts qu’une autre personne. Le problème c’est que cette théorie est valable principalement dans une cours d’école secondaire. Quand t’es un adulte, c’est faux. Pis quand tu vis dans un petit milieu, c’est turbo-faux.

Dans les grandes villes, la communauté des gens ayant le même style est forcément plus grande que dans un petit milieu. Ainsi, les chances sont grandes de rencontrer des gens ayant le même profil que soi. En contrepartie, dans une petite communauté, il est recommandé de s’ouvrir à tous les styles, à tous les âges, bref de s’ouvrir.

Bon ok, dans un monde idéal il est recommandé de s’ouvrir en toutes circonstances, mais disons simplement que c’est socialement nécessaire en région.

Ça fait que, vu les circonstances, j’ai rencontré des gens de tous les milieux. L’ancienne Claudine n’aurait jamais pensé avoir dans la même gang des amis ; biologiste, enseignant, urbaniste, art thérapeute, restaurateur, yogi, serveur, prospecteur, journaliste, coiffeuse, denturologiste, écologiste, etc. T’imagines la palette de conversations possibles à une même tablée dans un 5 à 7? Je sais. C’est fort. Astheure j’sais à quoi ressemble une tourbière. Je peux aussi te dire que c’est Jane Jacobs qui a apporté la théorie des « yeux de la rue » , soit le regard des autres citoyens sur ce qui se passe dans l’espace public, en urbanisme. Je peux même te le dire sans regarder Wikipédia ou un site spécialisé.

À Rouyn, si t’as un minimum d’entregent, tu finis par connaitre tout le monde, presque. Ce qui fait que, si t’es authentique et agréable, on va apprécier ta présence, peu importe ton emmanchure. Icitte, t’as pas besoin de porter du rouge à lèvres bleu pour qu’on s’intéresse à toi. Tu peux le faire, mais on va t’aimer pareil au naturel parce qu’on sait ce que tu as sous le capot. La proximité crée des écosystèmes sociaux particuliers, comme une grande famille. On s’aime malgré nos défauts, on apprend à vivre avec le brute parce que de toute façon, on va se recroiser.

Quand je suis partie de Montréal, le style occupait plus de place dans mon esprit que la recherche d’authenticité. Dieu merci, j’ai changé. J’suis quand même pas viré bout pour bout. La coquetterie n’est pas encore un crime à mes yeux. J’aime toujours les guenilles, mais j’aime encore plus la diversité et les humains.

Aujourd’hui, quand je rencontre des gens, je ne pense plus à analyser leur outfit pour savoir s’ils sont dignes de mon intérêt. Est-ce que c’est l’âge? Est-ce que c’est la région?

Un doux mélange des deux, j’dirais.

Ceci dit, la compréhension de cette leçon a certainement été accélérée par la vie dans mon petit milieu. La Claudine d’aujourd’hui est ben contente quand elle pense à la Claudine d’hier qui pleurait sur son matelas gonflable. Elle est contente parce que la jeune a catché ce qui compte vraiment.

Pis, elle est encore plus contente quand elle pense à ses nouveaux amis parce qu’elle a le coeur qui pogne en feu tellement elle est fière de connaître d’aussi belles personnes.

Claudine Gagné

Claudine Gagné

Native d'Amos, Claudine est toujours un facteur d'influence pour son milieu de vie. Socialement engagée, spécialiste des communications, mélomane avec un brin de folie; elle s'adapte et fait toujours sortir le meilleur de chaque personne de son entourage. C'est la Mary Poppins de l'Abitibi-Témiscamingue. Après Amos, Mirabel, Ottawa, Montréal et Rouyn-Noranda, elle s'envolera pour Sudbury en 2017.
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