Un doré à la fois

Un doré à la fois

- Un texte de -

lecteurs ont lu ce texte.
Close
Illustration : Janie Bastien

Le 6 janvier 2016. C’est ce jour-là que j’suis arrivée à Rouyn au beau milieu de l’hiver, cette saison avec laquelle j’entretiens une sérieuse relation amour/haine. J’suis comme le Québécois moyen, j’aime l’hiver pendant trois semaines, après ça je chiale quand y’annonce d’la neige.

Quand j’habitais à Montréal, c’tait parce que j’me voyais déjà en train de sacrer en essayant de sortir ma crevette de char du banc de neige une fois la gratte passée pis asteure, c’est parce que les déplacements deviennent un peu compliqués voire dangereux. J’ai pas trippé la fois qu’il neigeait tellement que je roulais 40 km/h pis j’ai quand même failli prendre le clos huit fois entre Sainte-Germaine pis Rouyn. 

Si j’parle de l’hiver en été, chose que je trouve ben bizarre parce que je suis la première à vouloir rien savoir de la saison morte une fois qu’elle nous a sacré patience, c’est parce que j’ai une eucharistie de bonne raison d’le faire. J’ai peut-être trouvé l’affaire qui pourrait éventuellement me faire faire la paix avec le frette, ou avec l’amour (Allô Dany Bédar!).

J’ai rencontré un gars y’a quelques mois.

Quand il m’a ajouté sur Facebook, j’ai évidemment stalké son wall. J’ai rapidement constaté qu’à part partager des posts de Pêchomaniak pis des concours pour gagner des séjours dans une pourvoirie, y’avait pas grand-chose à voir là. Le genre de gars qui est encore capable de passer une journée without son iPhone sans hyperventiler. Séduisant, avoue.

J’ai pas eu besoin d’un dessin pour comprendre que sa passion, c’était pas le magasinage au Quartier DIX30. Secrètement, j’ai attendu avec impatience le moment où il allait m’inviter à aller pêcher avec lui. Ce jour-là est arrivé. On y est allés une, deux pis trois fois. Pis on y est allés la veille de la fermeture de la saison de pêche sur glace, c’tait le 14 avril.

Park le pick-up au chalet de ma cousine à Gallichan. Embarque sur le quatre roues, roule une dizaine de minutes sur le lac Abitibi, le soleil d’avril dans face, le sourire jacké jusqu’aux oreilles pis l’espoir de faire une bonne pêche dans l’tapis.

Mon homme choisit son spot. Moé, je balaye le lac du regard pis j’me dis qu’icitte ou ben là-bas, ça revient pas mal au même mais ça l’air que non. « C’t’un bon spot icitte, dernière fois j’suis venu on en a sorti une couple » qu’il me dit. Je m’obstine pas, c’est lui l’boss. Ma connaissance des rouages de l’industrie d’la musique me servent fuck all dans ce genre de situation. Pis j’trouve pas ça désagréable d’être à ce point loin de c’que j’connais.

Je pensais pas que voir un gars driller des trous dans un lac glacé me ferait vivre autant d’émotions. Manière polie de dire que j’ignorais que ça aurait une influence sur ma libido. Je me serais pas fait prier pour ôter mon suit de Ski-Doo mettons…

Anyways, j’reprends su’ moé pis j’lui demande si je peux faire quelque chose. Ma job sera de pogner la cuillère pis sortir la slush des trous de glace. Pas trop tough, le genre de tâche qui me convient. Surtout qu’à ce moment-là, j’ai encore une peur bleue de m’rentrer un hameçon dans un doigt, fouille-moi pourquoi.

Quand je pense à la pêche en général, j’ai toujours cette image du pêcheur l’été qui swing sa canne pis qui t’accroche l’épaule au passage avec l’hameçon pis là le fun se transforme en cauchemar. Genre comment tu fais pour sortir ça de d’là esti? Là c’est l’hiver pis on swing pas la ligne, on la dompe dans le trou pis on attend que ça morde. Pas de danger de se ramasser avec un hameçon dans joue et de s’sentir aussitôt comme le poisson qu’on est venu prendre.

Ça fait que nos lignes sont installées, le soleil shine pis on vient de s’ouvrir une bière. Je vois mon boy jouer avec le fil d’une des lignes pour attirer le doré pis j’me dis que j’devrais ben faire pareil pour pas qu’il pense que les filles de ville ça sait pas pêcher. En bon langage de pêcheur on dit « jigger » avec la ligne,  chose que je m’applique à faire. On jase de tout pis de rien jusqu’au moment où j’trouve que ça vient de donner un pas pire coup au boutte de la ligne. J’y vais donc d’un : « oh fuck, ça vient d’mordre« .

Je sens que le poisson est reparti mais surement pas trop loin donc j’fais attention de pas faire de mouvements trop brusques. Je reste à l’affut. CLAC, ça tire à nouveau et c’est là que d’une main, je tire un bon coup pour essayer de planter l’hameçon dans la gueule de ce que j’imagine être un beau poisson.

Je sens bien la chose au boutte de ma ligne mais j’arrive pas à la sortir. « Lâche ta bière niaiseuse pis prend tes deux mains ». J’dépose ma New Castle dans neige pis j’tire sur la ligne avec conviction. Y’a quelque chose qui bloque. Mon homme voit ben que something’s wrong et prend la suite des choses en main en m’disant : « C’tun gros ça Josette, c’t’un gros!« . Je l’ai déjà entendu faire ce genre de call lors de nos pêches antérieures fait que je m’énerve pas trop. Jusqu’à temps que je vois le mastodonte sortir du trou de glace. 

« Holy shit! C’est quoi ça! C’est quoi ça!« .

J’ai le coeur qui bat fucking vite. Je suis excitée pis traumatisée en même temps. Je peux pas croire que le poisson qui flip flop sua glace à mes pieds soit aussi gros. Un doré jaune d’une dizaine de livres qu’on s’est dépêché de remettre à l’eau parce que c’était une femelle qui visiblement, était sur le point d’expulser vu le temps de l’année et la grosseur de son ventre. J’ai juste eu le temps de prendre une photo de monsieur le pêcheur avec la prise. Même pas pris le temps de le mesurer, chose qu’on a regrettée par la suite parce que c’est la question que tout le monde nous a posée. 

Je pense que j’ai mis deux heures à réaliser qu’on avait pêché un aussi gros poisson. On a espéré en sortir une douzaine d’autres du même gabarit mais on savait ben que ça allait pas arriver. On a rien repogné jusqu’au coucher du soleil. On allait partir mais ça s’est mis à mordre en malade.

J’étais déchirée entre regarder la beauté du spectacle qui se dessinait à l’horizon pis checker si les lignes présentaient un signe de poisson hameçonné. Pis je commençais à être un peu feeling : pêcher un aussi gros poisson en arrivant, ça te donne pas envie de cheaper sur la quantité de Kraken dans chacun de tes drinks, mettons.

M’exposer la ploune au grand vent à -30 pour faire pipi est désormais une pratique intégrée. J’me suis pratiquée en masse la fois qu’on est allé au beau milieu de nulle part pis oussé qui avait pas d’arbre pour se mettre à l’abri. J’ai fait la paix avec le sentiment de refroidissement extrême du down below. Ça aussi ça aide à être assez lousse sur la quantité d’alcool que tu bois en checkant tes lignes.

Fait qu’on a goalé un peu en fin de soirée pis on est rentrés une fois le soleil couché. J’aurais voulu que cette journée ne se termine jamais. Sur le quatre roues en revenant, je serrais mon motté vraiment fort. J’étais bien. Je m’imaginais pêcher comme ça avec lui pour le reste de ma vie. Ce jour-là, j’me suis sentie tellement loin de Montréal mais pour une des premières fois, ça me déchirait pas le coeur en mille morceaux.

Cet étrange feeling d’avoir perdu tous ses repères mais de retrouver l’essence de son fort intérieur, un doré à la fois…

Je regardais partout autour pis c’était rien que j’avais eu l’habitude de côtoyer quotidiennement. La nature avait toujours été pour moi synonyme de vacances, de repos. Là je l’avais en pleine gueule, un jeudi soir ben tranquille. J’ai eu envie que ce sentiment de bien-être pis de liberté fasse désormais partie de mon quotidien. J’ai demandé à mon boy : « C’est oussé que j’peux me trouver un permis d’pêche hein?« . Ce jour-là, j’pense que j’ai un peu commencé à aimer l’hiver, finalement.

Étiquettes:
Josée Hardy-Paré

Josée Hardy-Paré

Née dans la forêt boréale de La Sarre, Josée a grandit à La Prairie et évolué dans la grande ville avant d'effectuer un retour en région en 2016. Elle se spécialise en communication culturelle.
Un doré à la fois

Sainte-Justine en Bosnie

Un doré à la fois

Retour vers le futur en Abitibi-Témiscamingue

Newer post